Ce hameau très ancien, le plus proche du site médiéval, est un excellent exemple d’adaptation à un milieu naturel difficile d’un habitat paysan sur un terroir agricole exiguë. Situé en pleine pente entre 1100 et 1150 m d’altitude, son nom* traduit parfaitement son identité. Entre les deux combes des ruisseaux de la Combette à l’ouest et du Boulourenc à l’est, il est positionné sur une côte où la roche n’est jamais loin sur des terrains stériles. Il est dominé par avancée très raide sur laquelle affleurent de gros amas rocheux assez instables. Les maisons ont fui les terrains très humides ou marécageux des sagnes toutes proches pour gratter dans la pente jusqu’au rocher. Dans les écuries de toutes les maisons l’eau jaillit ou coule, parfois avec des débits importants. Les citadins crieraient à l’humidité qui allait pourrir la construction. Pour les anciens au contraire c’était l’eau à volonté dans un climat sec, la fraicheur pour les caves en été et la tiédeur en hiver, la possibilité d’alimenter bassins et fontaines, de nourrir des canaux pour les jardins aménagés alentour ou plus simplement de faire boire les bêtes à l’intérieur par grands froids. Quant aux murs, ils ont résisté aux siècles car les mortiers de chaux sont perméables, respirent, évacuent le trop d’humidité. Ceux qui ont voulu rénover avec des ciments artificiels hydrofuges ont vite compris leur erreur.
Au début du XXème siècle on compte 5 familles mais déjà dans les années trente il ne reste plus que quatre. Pas de grande exploitation agricole mais quatre familles paysannes nombreuses comme dans les autres hameaux où tous travaillent dur pour subsister. Il y a là Joseph Argence, Emile puis Joseph Izoard, Henri Carre père et fils et une figure marquante de la vie roteirolle de ce temps, la veuve Marie Vasserot, femme moderne et dynamique, courageuse. Toujours proche de la jeunesse elle prend le risque pendant la dernière guerre de braver les interdits pour permettre aux jeunes du pays de s’amuser un peu et de danser. Les gendarmes l’emmèneront même en prison à Gap pour quelques jours. Elle vit aux Sagnes avec son fils Jean Buffe, né d’un premier mariage, qui aura quatre garçons. Bien sûr elle n’échappe pas aux va et vient des rassières vers le chalet de Truchet. Une personnalité qui mérite de ne pas tomber dans l’oubli de la mémoire locale.
Une vingtaine de vaches au total, quelques moutons et chèvres, des cochons, un cheval et une basse cour dans chaque maison, voila pour le « décor » du hameau. La vie quotidienne est semblable à celle des Casses ou des Moulinets. Heureusement pour les rassières des Sagnes, les petites montagnes de Truchet et Mikéou sont plus proches que pour leur collègues du bas du village..
La taille des exploitations est critique. Beaucoup de travail, de déplacements pour des revenus qui feraient classer aujourd’hui les paysans des Sagnes dans la catégorie des travailleurs vivant au dessous du seuil de pauvreté. On économise sur tout, on s’aide entre familles de même « niveau » pour ne pas dépenser et s’endetter. Les situations sont parfois cocasses. Ainsi en 1946 quand Adrien Bernaudon du Fournet doit acheter un mulet. Il en trouve un correspondant à ses moyens à Seyne les Alpes. Pas de quoi se payer le transporteur. Avec son ami Joseph Argence des Sagnes ils partent en vélo. Il leur faudra deux jours pour revenir. L’un pousse les deux vélos, l’autre conduit le mulet. Malchance et drôlerie ils croisent à Savines un bruyant camion militaire. Le mulet effrayé » s’escampe » dans la campagne. Les paysans du lieu viendront à la rescousse et hébergeront pour la nuit nos deux convoyeurs qui ne pourront rentrer à Réotier que le lendemain.
Pour des chefs de familles jeunes ayant des enfants à élever, il faut faire des choix pour permettre une scolarisation meilleure et des chances d’une autre vie. Joseph Argence, comme avant lui Jean Collomb aux Casses se décide à tenter sa chance ailleurs.En 1949 la famille Argence part en Provence. Le scénario de l’effondrement de la vie pastorale se répète une fois de plus. Les familles restantes étaient pourtant de belles familles. La relève était assurée croyait t’on, Il n’en était rien. Regardons de plus prés. Les temps ont changé. Les parents veulent une vie meilleure pour leurs enfants. Ils passent leur certificat d’études primaires…en manquant moins l’école que la génération précédente. S’ils le souhaitent, et c’est la majorité, ils continuent leurs études, vont au collège puis au lycée et pour quelques uns à l’université. Pensionnaires, usagers des transports en commun, ils découvrent d’autres façons de vivre, d’autres mentalités, d’autres cultures et sont libres de choisir leur avenir, même s’il y a toujours des pesanteurs familiales ou locales. Ainsi de la famille de Jean Buffe dont les quatre solides garçons vont opter pour des métiers du bâtiment ou de l’industrie.
Ainsi de la famille Izoard où ils s’orienteront vers des métiers du tertiaire ou de la fonction publique, ainsi des fils Carre dans l’industrie ou le tertiaire. Devenus adultes la plupart n’iront pas vivre très loin. Un seul tentera de reprendre « la suite » mais sa disparition accidentelle marquera le coup d’arrêt à la vie pastorale des Sagnes. L’une après l’autre les écuries se vident, puis quelques années après les maisons se ferment. Au milieu des années 70 le hameau n’a plus de bétail. Il reste quelques anciens ou anciennes, coulant paisiblement leurs vieux jours. Aux vacances d’été le hameau s’anime pour quelques semaines quand les « émigrés » reviennent au pays. Longtemps Marie Izoard, avec une énergie farouche entretiendra ses jardins et sera le symbole souriant de la vie permanente du hameau.
Aujourd’hui les Sagnes sont un hameau fantôme d’octobre à avril. La vie s’est redéployée plus bas au Moulin dans une importante construction moderne, résidentielle et industrielle où Monique, Jean Louis et Christophe Buffe se sont installés. Même s’ils continuent d’entretenir un minimum de l’espace agricole hérité et d’y pratiquer quelques cultures de manière moderne, leurs activités professionnelles les entraînent vers le bas, St Clément, Embrun ou plus loin encore. Aucune maison « citadine » n’est encore venu modifier l’aspect visuel du hameau, en marge semble t’il d’une demande significative d’achat de terrains à bâtir.
1949 : La famille Argence se reconvertit.
Monique Argence est née en 1939 aux Sagnes. Elle est l’ainée de cinq enfants : deux sœurs Maryse et Eliane, trois frères, Augustin, Roger et François. Elle a passé sa petite enfance dans la petite ferme familiale : 2 à 3 vaches, 1 chèvre, 1 cheval, quelques terres dispersées…La vie y était dure mais le froid les faisait plus souffrir que la faim. Surtout pour descendre à l’école au Fournet. C’était pourtant moins dur que ce qu’avait connu Marie Madeleine Argence, sa grand-mère. Elle vivait à l’Aubrée. C’était avec la famille Carre les derniers habitants de ce hameau si isolé. Elle venait à l’école à Réotier, c’est à dire à l’église !
Pas surprenant donc que Joseph le chef de famille cherche à l’extérieur une situation qui permette de vivre dans de meilleures conditions et de donner une chance de vie meilleure aux enfants. En 1949 c’est le déménagement sur Aix en Provence ou il a trouvé un emploi de jardinier communal. Ce départ est définitif mais chaque année aux vacances d’été la famille débarquait aux Sagnes, retrouvait ses racines, les voisins et ceux des proches qui étaient restés. On reprenait les habitudes comme celle de marcher, en particulier pour aller chercher le pain à St Clément.
Monique fera sa vie a Marseille, deviendra Monique Blanc, y fondera une famille, y exercera son activité professionnelle. Malgré tout, son port d’attache restera aux Sagnes. Ses parents reviennent y passer leur retraite à partir de 1972, Monique sera là plus souvent pour accompagner leurs vieux jours. En 1979 Marie Léonie se retrouve seule. Personnalité très attachante, elle y restera jusqu’à ce sa santé la fasse descendre à la maison de retraite de Guillestre. Elle tiendra le coup jusqu’en 2006. Que faire de cette maison familiale ? En 2002 l’arrangement familial laisse à Monique et Jacky Blanc la succession. Six mois par an de Pâques à octobre, ils y vivent. Jacky retraité est un jardinier très actif. Il sauve ainsi le paysage des alentours forcément négligé depuis la disparition de tous les voisins et voisines. Marie Izoard s’est accrochée jusqu’au bout mais quand elle doit descendre aux Moulinets chez son frère et sa sœur, le hameau n’a plus d’habitant permanent.
Quelques souvenirs d’enfance de Monique Blanc
« J’avais 10ans quand nous sommes partis à Aix en Provence, notre père allant travailler à la mairie d’Aix, au service des jardins. Les souvenirs que j’ai de cette époque à Réotier sont des images.
Nous allions au catéchisme à St Clément avec ma sœur Maryse qui a 17 mois de moins que moi et nous attendions au passage Maurice Carre qui avait juste un ans de plus que moi. Il fallait que nous portions un morceau de bois chacun pour le poêle de la salle de catéchisme.
Nous aimions bien quand il y avait une belle neige blanche, arrivés au Moulin dans un pré nous nous allongions les bras en croix pour faire notre bonhomme de neige. Nous devions arriver à St Clément certainement trempés mais ce n’était pas notre souci avec du recul.
C’était la mode des nœuds de ruban dans les cheveux. Pour que ce soit joli nous entourions le tuyau du poêle chaud pour repasser les rubans. Nous aimions bien aussi prendre des morceaux de sucre collés juste un petit peu à ces tuyaux chauds et nous avions du caramel.
Quand venait le printemps pour Pâques nous allions tous à St Guillaume à la messe et embrasser sa main et ensuite manger dehors. Pour cette occasion nous avions eu une jupe à carreaux avec ma sœur et un petit pull à manches courtes, le tout fait par notre maman et notre tante. Nous étions très fières.
Je garde un bon souvenir de la fête de ST Laurent parce qu’il y avait des beignets de St Laurent et que les voisins faisaient des échanges. Pour nous, ils étaient tous bons.
Tous ces événements sont loin mais j’en garde un bon souvenir. »
*Note de Serge BETTON :
*Le nom « Les Sagnes » provient de « La Sagna » issu de l’occitan « sanha » [sagna] qui désigne une plante qui pousse dans les marais et par là, un terrain humide et marécageux. A donné » Sagna Longue » « La Sagne » « Les Sagnes »….
Ref: Noms de lieux et Noms de Familles des Hautes Alpes par André Faure « Espaci Occitan » 05 Gap.