1988 : NOUVELLE DONNE
LE GROUPEMENT PASTORAL
Les bouleversements économiques des années 1980 poussent les plus tenaces des éleveurs à explorer de nouvelles solutions pour unir leurs forces. Ces exploitants se réunissent en un groupement pastoral incluant des éleveurs de communes voisines utilisant aussi les pâturages de Réotier.
Qu’est ce qu’un groupement pastoral ?
Le Groupement pastoral (GP) est une structure collective d’éleveurs qui leur permet de grouper leurs troupeaux pour exploiter et entretenir ensemble un espace pastoral. Il s’engage à gérer quotidiennement le pâturage (généralement pour la saison d’estive) tout en assurant l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi que l’amélioration de la qualité du territoire sur le plan des ressources pastorales et environnementales. Pour en savoir plus cliquer ici ou ici.
Le groupement pastoral de Réotier est présidé par René Blanc qui vient de succéder à Bernadette EYMAR. Michel EYMAR de Saint Thomas, aujourd’hui retraité, a été le premier président et fondateur du groupement en 1988.
ZOOM : Michel EYMAR
Michel Eymar est né en septembre 1945. Il est le fils de Baptiste et Alice Eymar. Au milieu d’une fratrie de 2 frères et 4 sœurs il vit une enfance paysanne dans la ferme familiale de St Thomas. Comme tous les enfants de cette époque il participe aux diverses activités rurales et il le fait avec intérêt et efficacité. A la différence des autres enfants de Réotier, comme ses frères et sœurs il sera scolarisé à l’école primaire de saint Crépin. Car c’est une singularité de St Thomas, le hameau est très excentré des autres de la commune. Surtout à cette époque il est plus pratique de se rendre au village de St Crépin, qu’au haut de Réotier. D’ailleurs les relations sont aussi plus habituelles avec les paysans voisins sur St Crépin, qu’avec les Rotérolles. Malgré son isolement, Le Cros, très peu peuplé en ces temps, mais directement sur la liaison routière chef-lieu Eygliers ou Guillestre regardait vers Réotier.
Il réussit son certificat d’études. Avec son goût pour les affaires de la terre, il va faire deux années de formation à l’école d’agriculture de Gap. Deux années (1959-1961) « d’école d’hiver » d’octobre à mars car à la belle saison il travaille dans l’exploitation familiale. Là encore, il est très intéressé par ce qu’il fait et dit voir appris beaucoup de choses. Il reconnait pourtant qu’être interne n’était pas facile et que les retours en train le week-end n’étaient pas un luxe. Il obtient bien sûr son CAP et rentre travailler avec son père. C’est désormais un agriculteur « moderne » et expérimenté qui donne du tonus à cette exploitation traditionnelle.
En 1972, c’est l’heure de la relève. Prenant la succession de son père Baptiste qui continuera de l’aider, il donne à l’exploitation une vitesse de croisière supérieure. Il double peu à peu la superficie travaillée en récupérant des terrains d’un voisin sur St Crépin ou en les louant aux exploitants de Réotier libérant des terres. Avec une quarantaine d’hectares, à cette époque presque brutale d’effondrement de l’agriculture traditionnelle dans la région il donne la mesure de son talent et de son énergie. La petite montagne du Villard est délaissée ; l’élevage bovin disparait rapidement au profit de celui des ovins. Ainsi la ferme de St Thomas et Michel vont devenir rapidement des modèles de l’agriculture nouvelle ouverte de plus en plus sur le marché. Elevage des ovins, cultures fourragères et céréales sont les bases vitales de l’exploitation. Grace à son savoir faire, son travail, son modernisme lui permettant aussi bien de s’insérer dans le nouveau contexte politico-économique lié à la PAC, que de mécaniser le plus vite possible son exploitation, que de transformer les pratiques culturales, il obtient de très bons résultats. L’augmentation des rendements de céréales, de la qualité des fourrages grâce à l’irrigation (aspertion), la mécanisation de la fenaison et la sécurité du stockage lui font atteindre un niveau d’excellence pas très éloigné de celui de confrères jouissant de bien meilleures conditions climatiques.
On ne sera pas surpris de voir que non seulement la ferme De St Thomas survive à cette véritable Bérésina de l’agriculture de montagne, mais que la municipalité de Réotier, les services agricoles du département et ses autres collègues qui se battent encore, fassent tout pour le mettre en première ligne dans cette bataille pour faire vivre une nouvelle agriculture de montagne.
A Réotier, il faut tourner la page. Jusqu’à présent, en dehors des contraintes d’accès aux pâturages publics qui obligeaient la commune à être l’interlocuteur unique de l’office des Eaux et Forêts, les paysans éleveurs n’avaient pas d’action concertée et organisée dans un cadre officiel. La priorité d’usage se faisait en faveurs des bovins. Les ovins n’avaient droit, sous le contrôle du berger communal, qu’aux secteurs les plus hauts ou les plus pauvres et aux délaissés des bovins. Avec l’effondrement du troupeau bovin il faut tout remettre à plat et gérer l’espace différemment. Nous sommes à la fin des années 80. Les autorités agricoles départementales poussent au renouveau. La commune initie le remembrement dans la plaine. Emile Guieu lui aussi jouera un rôle décisif. Comme toute « révolution » dans les campagnes, cela provoque un certain émoi et des résistances, mais chez les jeunes comme Michel, on fonce …et on aboutit. Par contre, au même moment, les services départementaux essaient de favoriser l’émergence d’une AFP (association foncière pastorale). C’est trop d’un coup ! Après plusieurs réunions tendues, car les propriétaires ont peur que leurs droits soient bafoués, Michel comprend qu’il faut calmer le jeu, rassurer les propriétaires et leur donner confiance dans une nouvelle manière de gérer l’espace pastoral. C’est pour cette raison qu’il propose et fait accepter la formule du Groupement Pastoral dont il est tout de suite élu président.
Le succès est rapide : tous les éleveurs et propriétaires de terrains concernés par l’élevage adhèrent et sont rejoints par des éleveurs de Chateauroux, StClément, St Crépin, Guillestre et Eygliers. L’administration soutient la démarche et des subventions permettent très vite l’achat d’un matériel moderne pour parquer les bêtes, les trier, les soigner…Un berger des moutons est recruté et payé par le groupement. Après un raté au démarrage avec un postulant indélicat qui abandonne le poste dés le premier jour, la chance sourit aux éleveurs. Michèle Quiblier du CERPAM a un joker à leur proposer. Pascal Labbé qui garde à Ristolas vient voir. Homme de la situation il est fidèle à son poste depuis 23 ans. Quant aux vaches, elles seront désormais en pacage libre dans des espaces clos au fil.
Depuis ce moment la formule a donné satisfaction, ne connaissant des problèmes (limités) que lorsque le nombre de bêtes devenait excessif (surpâturage, excitation des animaux s’échappant des espaces clôturés).
Michel Eymar a toujours privilégié la concertation pour prendre toutes les décisions. Il n’y a pas eu de crise ! Quand aux propriétaires mettant leurs terrains à la disposition du groupement, ils sont rassurés.Depuis 1994 un système basé sur le relevé cadastral des propriétés et l’autorisation écrite de chacun ( deux propriétaires seulement ont refusé !) garantit les droits de chacun. Sauf cas particuliers, ils reçoivent tous les deux ans, (quatre si la propriété est très petite) un chèque d’indemnisation, basé sur le barème de 10 euros par an à l’ha. Ce n’est pas une fortune, mais ils sont contents de voir leurs terres entretenues et de la participation du groupement aux taxes foncières. Des clôtures ont été posées pour limiter les espaces utilisés et préserver au mieux ceux qui ne relèvent pas du groupement pastoral. Après le grave incendie de 1993 le maire Marcel Cannat avait fortement encouragé ses administrés à participer au pâturage collectif par sécurité. Il a été entendu et l’initiative de lutte pour l’entretien du paysage et une plus grande sûreté des biens et des personnes saluée par le plus grand nombre. Michel Eymar restera président du groupement jusqu’en 2013.Le travail discret et efficace de Christian Berthalon, conseiller municipal, qui s’est chargé des versements périodiques aux propriétaires (89 en 2009) a bien soulagé son travail administratif. Le CERPAM (chambre d’agriculture) continue efficacement d’accompagner la vie du groupement et le travail des éleveurs, gérant les études, leur financement et la comptabilité.
Résumons nous : Le groupement gère l’espace pastoral. Il assure d’abord la faculté d’user des pâturages nécessaires en passant convention avec la commune et avec les propriétaires fonciers qui acceptent de mettre à sa disposition un certain nombre de parcelles. Ces parcelles laissées à l’abandon par la disparition des exploitants concernés deviendront des prairies de fauche ou des pâturages d’avant ou arrière saison. Le morcellement des propriétés étant considérable, le groupement doit traiter avec pas moins de 100 propriétaires En échange ces propriétaires perçoivent une indemnité.
Le groupement pastoral de l’Alp a remodelé l’espace pastoral en 1993. Il est divisé désormais en deux alpages :
l’alpage des vaches, dit de Manouel.
Le groupement a intégré des éleveurs d’autres communes. Le troupeau bovin de Réotier avait trop diminué pour être géré seul. Il s’agit des bovins de Mr Christian Isnard de St Clément et de ceux de la famille Anthoine de Chateauroux. Désormais l’alpage bovin , appelé « Manouel » est au bas des pâturages et n’utilise plus de cabane puisqu’il n’y a plus de berger. Sans gardien, au fil, les vaches pâturent entre Mikéou, le Vallon et les Grands Prés. Elles finissent la saison à Pré Michel.
l’alpage des moutons, dit de l’Alp.
Une vraie bouffée d’oxygène ! Il est monté en altitude et s’est beaucoup étendu (1140 ha), gagnant bien entendu sur tous les plans : qualité et variété des pâturages, réseau de cabanes modernisées, accés commodes. Il a pu accueillir les bêtes de Benoit Rozand de St Clement et de la famille Bertrand de St Sauveur.
Le groupement bénéficie des cabanes pastorales mises à sa disposition par la commune. Dans les faits c’est toujours la commune qui assure les travaux sur son patrimoine. En contrepartie, il verse une taxe d’environ 1000 euros à la commune. L’agent communal est toujours à l’écoute des éleveurs et du berger pour soutenir leur activité.
Le groupement recrute le berger pour l’estive et organise les interventions des propriétaires de bêtes pour la montée à l’alpage, les séances de soins aux animaux avec le berger, la descente de l’alpage.
Le plus gros travail de cette micro structure est administratif. Il est ressenti comme le plus difficile : tenir la gestion, faire une comptabilité, gérer des salaires ou des indemnités, remplir des dossiers, essayer d’obtenir des subventions, assurer les relations avec les organismes officiels (DDAF). Le pastoralisme de montagne ne peut économiquement fonctionner qu’avec leur soutien ; qu’ils soient français ou européens. Fini l’isolement au fin fond des Hautes Alpes. Le groupement pastoral est intégré dans un véritable réseau de concertation et d’assistance prenant en compte aussi bien les aspects environnementaux que les problématiques de l’élevage. Le PNE, l’ONF, le CERPAM, la mairie sont des interlocuteurs obligés.
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