La foire de la Saint Luc 2015 a terminé la saison d’estive 2015 de belle manière : il faisait beau et le public était venu nombreux. Avec le col Agnel ouvert, les Piémontais du Val Varaita étaient fidèles à ce rendez vous séculaires.
Habituellement, les conditions météorologiques se détraquent peu après et la neige descend jusque dans les vallées où les troupeaux peuvent s’abriter rapidement. Est ce un effet du changement climatique ? Un automne sec et tempéré s’est prolongé jusqu’au début janvier. Les stations de ski en manque de neige ont fait grise mine. Pour les éleveurs ce fut le contraire. Bien sûr les jours ont raccourci comme à l’accoutumé, mais les prés autour des villages ont gardé une herbe correcte qui a permis de laisser les troupeaux dehors jusqu’à Noël. C’est autant de fourrage d’hiver qui a été économisé.
La suite de l’hiver s’est déroulée de manière habituelle avec les bêtes dans les étables. Deux temps forts dans ce long séjour à l’abri : l’agnelage des agneaux de printemps et la tonte des toisons avant les premières sorties. Pour les éleveurs cette période hivernale demande beaucoup de travail tous les jours, pour nourrir les bêtes, tenir propres les étables sortir le fumier, apporter des soins et surtout rester en vigilance permanente pour que les agnelages se passent dans de bonnes conditions.
L’hiver a été lui aussi assez clément, avec peu de neige et sans période durable de grands froids, mais le printemps, lui s’est révélé froid et humide. Ainsi les bêtes n’ont pu sortir plus tôt. Deuxième semaine d’avril pour la plupart…juste après les marmottes. L’herbe était très abondante. Inutile de dire le bien être des moutons lors de ces premières sorties.
Cette période de pâturage dans les prés au niveau des hameaux à duré jusqu’au 18 juin.Les éleveurs ont promené chacun leur troupeau dans des parcs électrifiés. Monter et démonter ces parcs nécessite un bel effort physique très souvent répété. C’est un progrès puisque la garde quotidienne disparaît libérant ainsi l’éleveur pour d’autres activités. La gestion de la ressource est aussi améliorée.
15 juin 2016 : Notre travail sur le pastoralisme suscite de l’intérêt en dehors de notre commune. D. Averousse, B.Philippe et L.Volle se retrouvent à la maison de retraite de Guillestre pour une animation autour de notre sujet. Pour bon nombre de nos auditeurs, c’est de leur vie, de leur jeunesse que nous avons parlé. Moments plutôt émouvants.
Le 17 juin les éleveurs ovins du groupement pastoral de l’Alp, ont regroupé leurs bêtes en deux troupeaux. Le 18 juin dés 6 heures, Stéphanie Bertrand et Benoit Rozan ouvrent la marche du premier troupeau tandis que Bernadette Eymar fait suivre en serre file.
Par la route de Mikéou puis la piste de l’Alp les bêtes filent bon train jusqu’aux Grands Prés lieu de rendez vous avec Pascal Labbé le berger. Il s’est installé la veille à la cabane de la Selle. Quelques instants plus tard le deuxième troupeau , conduit par Michel Martin suivi de René Blanc arrive à son tour venant de Pré Bouchard.
Immédiatement les éleveurs passent le relais à Pascal. Les bêtes sont excitées et foncent littéralement sur la clairière de Bouffard où elles vont inaugurer la première journée de cette nouvelle estive. Ce soir elles remonteront au parc à la Selle. Aprés quelques formalités entre René Blanc, président du groupement pastoral, les éleveurs et le berger, tout le monde s’en va. Pascal commence sa saison dans les pâturages inférieurs, remontant progressivement sur la Selle et Roche Charnière. Il faut laisser le temps à l’herbe de pousser.
La première nuit est difficile pour les bêtes car le temps s’est gâté: il pleut fortement et la neige blanchit le paysage juste au dessus de la cabane. Il y aura 15 centimètres à l’Alp.
Peu importe : le soleil n’est pas encore là que le troupeau s’agite et plonge à nouveau sur Bouffard. Jour aprés jour, les prés inférieurs du secteur seront « mangés ».
11 juillet 2016 : première remue de l’été. Pascal a migré avec le troupeau vers sa deuxième résidence d’été : la cabane de Clos la Fourme, pour pâturer le Vallon et Fouran.
14 juillet 2016 : quelques vallées plus à l’ouest c’est aussi la grande remue pour Michèle Hagard. Il fait à peine jour quand les premiers éleveurs partent des Gourniers pour les pâturages de Chargés. Le début de saison a été difficile. Les bêtes trés excitées manquaient de docilité. quelques unes n’ont pu être récupérées et monteront plus tard à l’alpage. Le gros du troupeau avale bon train le sentier pourtant pas commode.
Dépassé la cabane de Pré Antoni les « anciennes » naturellement retrouvent leur quartier d’été et entraînent des nouvelles. Les premières s’échappent vers la Selle, tandis que les autres montent droit aux Curates ou encore plus haut, après la cabane à la Confrérie.
Il y a du monde : des habitués de ce rite pastoral, mais aussi des officiels du Parc des Ecrins, des élus, des touristes. Le curé d’Embrun (il y a peu, curé de Réotier) le père Bérnardi, toujours en forme et en verve dit la messe derrière là cabane avant un apéritif collectif.
Pendant ce temps les éleveurs s’affairent pour organiser les parcs et en construire de nouveaux.
Michèle boucle cette procession dispersée bientôt suivie de Serge et ses chevaux bien chargés. C’est parti pour une nouvelle estive.
Revenons à Réotier.
Libérés de leurs troupeaux les éleveurs redeviennent des paysans et s’activent pour faucher,andainner, botteler, transporter…Longues et rudes journées malgré le matériel moderne, avec des coup de « chauffe » quand l’orage menace. De Jour en jour le paysage se transforme : les prés verts avec une herbe très abondante cette année jaunissent et bientôt sont décorés d’énormes bottes rondes ou rectangulaires. L’arrosage par aspersion tourne à plein régime pour doper les regains et les prochaines coupes.
Sur les routes c’est le ballet des tracteurs, des botteleuses et des remorques évacuant la première fenaison.
Les touristes qui les croisent et quelques fois les toisent, imaginent -ils combien l’emploi du temps de nos quatre exploitants est dense. La future saison d’hiver dépend de la réussite de leur travail. Si la production est insuffisante il faudra acheter le foin ailleurs affaiblissant d’autant la rentabilité de leur exploitation.
24 juillet : Journée festive Du Club des Internautes et du Grand Serre à Pra Bouchard avec pour thème le pastoralisme. Le matin à 7 heures 13 randonneurs se retrouvent à Truchet pour aller à la rencontre de Pascal au dessus du Clot la Fourme. La nuit a été agitée pour les bêtes à cause du mauvais temps. Elles sont monté sur le Platasse prés du Pinfol. Nous retrouvons le troupeau et son berger dans le ravin du Clot à la limite de la forêt.
Après un agréable échange avec Pascal le groupe remonte la crête séparant les vallons du Clot et du Vallon pour rejoindre la tête de la Vieller puis en suivant l’arête, la Tête de Fouran. Temps magnifique et vue imprenable. Retour par la Coste des Chamousses et la draye du bas sur le Clot puis le Vallon.
Les randonneurs rejoignent alors vers 13 heures les festivités de Pra Bouchard qui réunissent dans une ambiance très sympathique plus de 80 participants.
1er Août : troisième « maïre » (remue) pour Pascal qui part s’installer à l’Alp. C’est le moment de pâturer les quartiers d’août, les plus élevés jusqu’à ce que la météo contraigne au dernier repli vers La Selle. Cette année les conditions sont excellentes avec une herbe abondante et de belle qualité.
24 août 2016 : Dernière séance de soins à l’Alp. Dés 6 heures du matin les éleveurs remontent la piste pour retrouver Pascal Labbé. Le troupeau sagement regroupé dans le parc au dessous de la cabane est libéré vers 7 heures. Magnifique spectacle au rayons du soleil levant. Pascal et ses deux chiens pilotent littéralement cette masse animale pleine d’énergie. Elle fait un tour « au galop » face à la cabane avant d’être canalisée et contenue dans un parc sur le parking du bout de route.
Les éleveurs sont là. Une à une les bêtes passent dans un couloir de tri fait de barrières métalliques. D’un œil attentif ils observent chaque animal.
Ceux qui sont bien portants filent tout pour se retrouver dans un grand parc de contention où ils attendront la fin des soins. Ceux qui sont suspects ou présentent visiblement un besoin de soin voit un portillon fermer le couloir, tandis qu’un autre s’ouvre à droite pour les faire pénétrer dans le petit parc « infirmerie ». Peu à peu le premier parc se vide. Une trentaine de bêtes inquiètes se tassent dans le parc de soins.Une après l’autre les bêtes sont examinées : quelques unes seront évacuées aujourd’hui dans les véhicules de leurs éleveurs respectifs. Les autres sont traitées sur place. Nettoyage et taille de sabots abîmés et infectés, administration par application directe ou par piqûres de désinfectants ou de traitements divers. Chaque bête soignée est marquée d’un trait de couleur bleue pour permettre le suivi du traitement.
A 9h30 tout est terminé. Éleveurs et bergers se lavent les mains à la fontaine.
Les uns retournent sans tarder dans la vallée, les autres prennent le troupeau en charge pour une première virée de la journée vers les Rasinières. J’ai bien dit « les » car ce 24 août c’est la relève pour Pascal qui part une semaine pour s’occuper de ses abeilles en Provence…et pour changer d’air. Benoît Berlioz de St André d’Embrun va faire l’intérim. Avant de le laisser à L’Alp, Pascal l’accompagne sur ce premier parcours pour lui montrer les drayes, et le programme de pâturage de la semaine. En clair la transmission des consignes.
Rendez vous est pris le 2 septembre. Pascal sera de retour pour terminer la saison et une nouvelle séance de soins aura lieu, cette fois à La Selle.
2 septembre : Encore un temps important dans la saison d’estive des moutons du groupement pastoral. Les éleveurs ont rendez vous au parc de la cabane de La Selle pour trier les brebis qui vont bientôt faire l’agneau, « les empoussées » en langage trivial. Les bêtes une fois encore vont passer dans le couloir de sélection : à gauche dés l’entrée celles qui ont besoin de soins, à gauche, au bout du couloir les brebis pleines qui vont faire leurs valises et redescendre chez les éleveurs ; tout droit, les plus nombreuses celles qui vont finir la saison en montagne jusqu’à la St Luc.
Avec un œil expert, Odile, Benoît, Stéphanie décident de la destination. Bernadette, René, Michel et les bergers poussent les bêtes et modifient la géométrie du parc des « empoussées » plus nombreuses que prévu.Plus de trois cent . Guy, le portier, reste vigilant. Il fait bon et les bêtes restent calmes.
Vers 8h30 le tri s’achève. Chaque éleveur charge dabord dans sa camionnette les quelques brebis dont le rapatriement est urgent : des agneaux précoces, une brebis avortée, une à la mise bas imminente et quelques malades ou blessées.
Immédiatement Bernadette et Stéphanie prennent en charge l’imposant troupeau des « empoussées » et commencent dans la poussière la descente sur le parc de Bernadette à Mikéou. Chaque éleveur viendra y récupérer les siennes, faciles à identifier avec la marque peinte sur la laine. A 9h30 tout est fini : les bêtes soignées rejoignent le grand troupeau.
Pascal est rentré hier du midi. Il est heureux d’être là et de trouver un peu de fraîcheur.
Les bêtes sont descendues à La Selle juste pour le tri. Benoit a fini le remplacement. Il aide Pascal à ouvrir les parcs avant de regagner lui aussi la vallée.
Avec le beau temps les moutons ne demandent qu’à monter. Bientôt ils seront à l’Alp. Le troupeau et son berger y resteront le plus tard possible, jusqu’à fin septembre, sauf accident météorologique. Il y a encore de l’herbe dans les quartiers d’août. Il sera toujours temps de se réfugier à la Selle si le mauvais temps s’installe pour de bon.
17 septembre : Le mauvais temps est là. Enfin ! La nature grillée va pouvoir respirer un peu. La pluie est abondante mais la neige descend jusqu’à 2000m. A l’Alp Pascal mesure prés de 20 cm devant la cabane. Bien sûr il a anticipé le coup et le troupeau est à La Selle. Dés le 18 septembre le soleil revient.La neige fond rapidement. Les bêtes remontent. Peu importe l’automne est bien là. Le troupeau est désormais plus réduit, car séance de tri après séance de tri, les « empoussées » sont en bas chez les éleveurs. Le troupeau à l’alpage a diminué de moitié. Mika et Gaïa les deux chiennes de Pascal voient se réduire semaine après semaine la petite mer de laine qu’elles font courir sur l’alpe. La dernière étape de la saison approche avec le retour définitif à la Selle, mais comme la météo reste clémente Pascal profite au maximum de son pâturage de haute altitude et de sa cabane.
7 octobre 2016 : Il fait toujours beau ! Mais les nuits sont froides. L’adduction d’eau de la cabane de l’Alp gèle la nuit. Les bêtes ne montent plus. Au contraire elles affectionnent la combe de la Selle ou les plateaux des Rasinières. Pascal estime qu’il est temps de se rapatrier à La Selle. Aujourd’hui c’est le dernier déménagement.
13 octobre 2016 : Rien ne va plus ! Le mauvais temps s’abat brutalement sur la montagne. La pluie diluvienne se transforme rapidement en neige. Les bêtes le sentaient sans doute et restaient sur Bouffard.
14 octobre 2016 : Il faut se faire une raison. Il faut évacuer d’urgence car d’heure en heure la couche épaissit. Les éleveurs arrivent difficilement car la piste malgré les 4X4 ne passe plus peu après les Grands Prés. Pascal quitte la Selle avec les dernières bêtes, laissant tout en attendant des jours meilleurs, effets personnels, voiture…Priorité à la descente du troupeau qui patauge dans la neige mouillée plus bas que Truchet. Chaque éleveur repart avec son troupeau. La saison d’estive 2016 est terminée. Plus tôt que prévu. Pascal devait rester une semaine encore à la Selle. En attendant de pouvoir récupérer sa voiture et ses affaires et remettre la cabane en hivernage il reste à la Bourgeat chez René Blanc dont le troupeau a retrouvé ses parcs tout prés de la maison.
La foire de la Saint Luc c’est dans trois jours !
17 octobre 2016 : Foire de la Saint Luc sous la pluie ! Parapluies partout ! Les fidèles sont là mais la foule des jours de fête est restée à l’abri. Les commerçants font grise mine et les quelques animaux résignés sous les gouttes semblent ne pas comprendre ce qu’ils font là.
Partout, dans la région, la fin de saison s’est révélée bien compliquée pour évacuer les bêtes hors des zones enneigées. La pluie va succéder à la neige qui va fondre rapidement. Mais c’est trop tard. Rendez vous la haut en 2017 !
21 octobre 2016 : L’engin de la commune procède à l’ouverture de la piste jusqu’à la Selle. La cabane est rangée pour l’hiver. Pascal peut redescendre sa voiture. Il remonte pourtant à plusieurs reprises car quelques bêtes se sont égarées du coté de Roche Charnière.